PETITE HISTOIRE DU POINT ET DU TRAIT

 

PAR JOEL HALIOUA

Tout commence par un point !!!

En effet depuis les premières civilisations où le stylet gravait l’argile, depuis le Moyen Age où la plume effleurait le parchemin, ou encore de nos jours lorsque le crayon, le stylo, le stylet s’appuient sur un support, papier ou électronique, ce premier contact furtif est toujours visible sous la forme d’un point.

Pour les premiers idéogrammes (dessins et signes) comme pour les hiéroglyphes en Egypte ou encore les signes cunéiformes en Assyro-Babylonie, le point est toujours le début de toute expression manuscrite. Ce point peut-être suivant les langues, une voyelle, une consonne, un signe de ponctuation une note de musique ou autre …

Le stade suivant consiste à tracer une ligne prolongeant ce point. Le trait, ce trait évoluera dès l’apparition de l'écriture PROTO-SINAITIQUE vers les tous les alphabets que nous connaissons aujourd'hui. La tradition juive nous enseigne que l'écriture est mise au nombre des miracles crées par D.ieu, le sixième jour avant le coucher du soleil, et gardé en réserve jusqu'au moment propice de la promulgation de la Thora sur le Mont Sinaï. En donnant la loi à  son peuple, D.ieu leur confie également l'écriture des Textes Saints.
D'après une des opinions de nos sages (Sanhédrin 21 b)1 bien qu'il existait un ancien hébreu à l’époque de la révélation du Sinaï le premier Sefer Thora et les Dix Commandements gravés sur les tables étaient en Ktav Achourit, c’est-à-dire la même écriture que notre Sefer Thora encore aujourd'hui. Aussi, il est vraisemblable que la première écriture  connue soit  le proto-sinaitique  correspondant à l’ancien hébreu. Mais dans son ouvrage, Mireille Adas Lebel2 mentionne qu'un alphabet cunéiforme simplifié de vingt-deux lettres a été trouvé sur des parchemins dans la région du Sinaï au 13éme siècle avant l'ère vulgaire, c'est-à-dire pendant le séjour des Hébreux dans le désert.

Sur le plan sociologique, le problème des hiéroglyphes et des signes cunéiformes, (évolutions des idéogrammes) résidait dans leur nombre important (300 à 500) donc réservés à une caste d'initiés et de savants gardiens jaloux de leur savoir. La grande révolution de l'écriture consistait dans la combinaison  de quelques dizaines de lettres entre elles, pour pouvoir transcrire un langage accessible à tous.
Comme tout le monde le sait les langues ont précédé l’écriture. Mais à la question ingénuement posée de savoir quelle langue primitive parlaient Adam et Eve, dans le jardin d’Eden, tous les théologiens de l’antiquité s’accordent sur ce point, c’est l’hébreu.1 Aussi, si nous voulons connaître l'histoire du point et du trait, il parait logique de puiser à  la source de toutes les connaissances dans ce domaine : la Bible Hébraïque.
Elle commence par un point. Le Daguesh qui ponctue le premier Beth de "Bérechit" : c’est la forme primitive du Youd. Les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque sont par les pointes d’en haut dont il sont constitués, des évolutions du youd. Mais en vérité, avant même la création, il y a D.ieu symbolisé par le Aleph qui est constitué d'un youd en haut, d’une barre transversale (le Vav) et un youd retourné en bas. Il s’agit donc d’un point, d’un trait, d’un point.
L'addition de la valeur numérique des trois lettres formant le Aleph est de 26, correspondant au Tétragramme, nom de D.ieu à quatre lettres attribut de miséricorde qui apparaîtra plus  tard après la création du monde, au début du deuxième chapitre du "Pentateuque". Le  point et le trait sont en même temps des voyelles et des consonnes ; ils ont la même valeur numérique.
    Point = Dagueh = Youd = 10
    Trait = Patah Horizontal = Vav = 6  .

Le Youd et le Vav (en phonétique française « YO ») qui constituent la moitié des quatre lettres du Tetragramme sont déjà un nom de D.ieu. Elles apparaissent en préfixe dans les prénoms Yonathan, Yohanan, Yokhebed, Yochoua, etc.
Le youd et le vav se retrouvent à nouveau dans la Mitsvah de la Tsedaka,  symbolisé par les quatre lettres du tétragramme. Le youd par sa  forme  primitive ronde  représente la pièce,  le hé  incarne  la main (donatrice)  constituant la première action, le vav indique le bras tendu, le hé dessine la main du pauvre finalisant l’action l’addition des 2 mains ; nous retrouvons le youd  5 + 5 = 10. (5 étant le nombre de doigts et la valeur numérique du hé) De même, toutes les voyelles sont constituées de points et de traits.
Le Daguesh : un point
Le Patah : un trait
Le Quamats : un trait avec en dessous un point
Le Ségol : trois points, etc.

Le point Youd par sa forme ronde symbolise la Genèse d'un microcosme évoluant vers une finalité normative. Ainsi, un ovule fécondé, après différentes évolutions, donnera un être humain, une graine plantée dans la terre aboutira à l'arborescence ; des gouttes d'eau qui érodant les rochers des montagnes creuseront une grotte… Que ce soit dans le règne végétal, animal, minéral et humain, tout commence par l'infiniment petit.
Le Zohar nous enseigne que tout ce qui est créé par D.ieu dans notre monde a une forme ronde ou arrondie, les vagues, le haut des montagnes, la lune, le soleil, et toutes les planètes - ce qui est droit et carré étant d’origine humaine.
La symbolique du trait Vav est différente. Sixième lettre de l'alphabet, son nom est formé d’une double consonne Vav Vav, le nom de sa valeur numérique est également une double consonne CHECHE, CHINE, CHINE correspondant à une valeur de 600, - c'est-à-dire 100 fois la valeur constitutive du 6 - attestant le rapport entre les deux lettres et le système décimal qui règne dans le monde métaphysique. C'est pourquoi les langues d'origine latines ont adopté des noms dérivés de l'hébreu pour désigner le chiffre 6 en français six dans la phonétique sisse est une double consonne le Chine évoluant en Sine Italien

 

SEI en Espagnol SEICH et même en arabe SETAA.
Pour une approche plus Kabbalistique du Vav, la Thora commence par le mot Bérechit composé de six lettres (encore le 6, allusion au trait qui suit le dagueche) qui se divisent en trois notions. Le Daguesh youd représente la divinité (10 sephirot) BERE a crée CHIT 6 domaines (6 en araméen).
Ce qui se traduit dans le temps par les six jours de la semaine, les 6000 ans de notre monde, dans l'espace par les six directions, c’est-à-dire les quatre points cardinaux auxquels s’ajoutent le haut et le bas (espace euclidien) dans la tradition par la loi orale composée des six ordres de la Michna, les six ans de la Chemita, etc. Le chiffre 6 permet à notre monde de fonctionner aboutissant au 7 marquant un temps d'arrêt le Chabbat étant à part puisque D.ieu ne crée rien et lui donne un nom propre pour recommencer un cycle de 6 + 1 les autres jours s’appelant yom richone, yom cheni… Dans l'espace euclidien, le 7 est représenté par le point convergent des six directions. Dans notre quotidien jalonné souvent d’actes conditionnés, de pensées toutes faites,  de parcours déjà programmés mais aussi d’événements imprévus, de heureux hasards, de rencontres fortuite d’agréable surprise  formant la trame de notre existence, que représente cette notion de point et de trait ?
La vie s’écoule comme l’encre de l’écriture sur un parchemin. Nous pouvons peut-être expliquer que l’être humain, durant son existence, se déplace en permanence, aussi bien dans l’espace et le temps, que dans sa mémoire, son parcours existentiel et identitaire, sa volonté de servir son créateur par l’étude et la pratique des mitsvot.
Tout cela est représenté par le  trait vav. Dans cette dynamique inhérente à la nature de chacun d’entre nous, il y a toujours un temps d’arrêt, une pause, que ce soit pour dormir, pour se reposer, pour réfléchir, pour se reconstruire, pour faire son introspection (hechbon nefech)  quelques fois même par la séparation avec l’autre pour mieux reconstruire une relation.
Tout cela est représenté par le point youd. Dans la langue de Molière ne dit-on pas, le point d’ancrage, le point d’attache, s’arrêter pour faire le point, le point final ?

La Torah commence par la lettre bet symbolisant la Dualité inhérente à toute la création, le ciel-la terre, la lumière-l’obscurité, l’homme-la femme, la sainteté-l’impureté, la morale-la débauche, etc. Cette notion de dualité s’applique aussi dans la symbolique du point et du trait.

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